Mesurer, c’est connaître; et cela à notre insu?

Sous le slogan "mesurer, c’est connaître", les autorités locales recueillent en masse les données concernant leurs habitants et visiteurs, à leur insu. Les cas sont nombreux où des informations sont récupérées sans que nous nous en apercevons: les données via votre smartphone, des compteurs intelligents, toutes sortes de capteurs, des caméras de surveillance (routière), etc.

De nombreuses villes et communes (entre autres Gand, Courtrai, Anvers et Bruxelles) se sont pleinement engagés à développer un système permettant de recueillir autant de données que possible, pour devenir une dite "ville intelligente". Ces projets de "villes intelligentes" sont également soutenus par la Commission européenne.

Presque toutes ces données sont recueillies et utilisées sans que personne ne leur ait donné la permission. De plus, il est pratiquement impossible d’autoriser ceci, étant donné qu’il n’est pas clair de quelles données il s’agit exactement.

Il est également difficile de savoir à quelles fins les données sont recueillies et utilisées. Les autorités locales énumèrent toutes sortes d’objectifs pour leurs initiatives de "villes intelligentes": la publicité, le tourisme, la durabilité, la mobilité, le développement urbain ou la sécurité. Toutefois, il est difficile de savoir à quelles fins les informations seront finalement utilisées.

De plus en plus de données sont ainsi recueillies par un nombre croissant de villes et de communes, sans aucune autorisation ni objectifs clairement définis. Etant donné que de cette manière les données de tout le monde peuvent être récupérées en masse, une réflexion doit être lancée d’urgence et des garanties pour faire cesser ces violations de la vie privée effrénées doivent être fixées.

Le Code d'instruction criminelle a été à de nombreuses reprises modifié en vue de répondre aux besoins liés aux nouvelles technologies. Certaines techniques d'enquête ont été aménagées dans le cadre de la loi du 25 décembre 2016 portant des modifications diverses au Code d’instruction criminelle et au Code pénal, en vue d’améliorer les méthodes particulières de recherche et certaines mesures d’enquête concernant Internet, les communications électroniques et les télécommunications et créant une banque de données des empreintes vocales.

Ces techniques font craindre des ingérences disproportionnées des forces de l’ordre dans le droit fondamental à la protection de la vie privée des citoyens. N’oublions pas que, en matière pénale, les règles de procédure sont des garanties essentielles afin d’assurer que les méthodes d’enquête policière restent acceptables dans une société démocratique.

Au-delà du fait que cette loi laisse accentue le glissement des compétences du juge d'instruction – garant d’un contrôle indépendant à charge et à décharge – vers le Parquet (qui ne dispose pas de telles garanties d’indépendance), elle constitue un véritable cadeau de Noël pour la police en ce qu’elle opère une répartition déséquilibrée des prérogatives à l’avantage des forces de police et au détriment des autres parties.

Elle modifie en effet considérablement le cadre légal applicable et innove en insérant de nouvelles techniques d'enquête et de collectes de données par la police: infiltration dans un système informatique par les agents de police auxquels il est permis de commettre des infractions, pénétration dans un système informatique afin de faciliter le contrôle visuel discret, recherche secrète dans des systèmes informatiques sans que l’étendue de ceux-ci soit clairement définie, possibilité pour le Parquet de saisir les données contenues dans le smartphone d’un manifestant, création d’une banque de données d’empreintes vocales afin de faciliter l’identification des suspects lors d’écoutes de communication...

Parmi ces méthodes d’enquête, certaines posent évidemment question en matière de surveillance et de respect de la vie privée : l’enjeu fondamental est de remettre en cause le régime traditionnel des garanties de proportionnalité des procédures du Code d’instruction criminelle, principales garantes du droit à la vie privée des potentiels suspects que nous sommes tous en tant que militants ou simples citoyens actifs dans la société.

Résumé : Ces techniques font craindre des ingérences disproportionnées des forces de l’ordre dans le droit fondamental à la protection de la vie privée des citoyens et elles opère une répartition déséquilibrée des prérogatives à l’avantage des forces de police et au détriment des autres parties.

Votre vie privée contre l’accès à un festival?

L’association flamande "Liga voor Mensenrechten" (Ligue des Droits de l’Homme) sélectionne le contrôle massif des citoyens par le gouvernement.

Prenez par exemple le contrôle des festivaliers de Tomorrowland réalisé récemment à l’aide de bases de données policières. En conséquence, quelques personnes ont été refusées. Comme il n’existe aucun cadre juridique clair pour cette pratique, le respect de la vie privée ne peut être garanti. Tout d’abord, il est difficile de savoir comment l’on se retrouve dans une telle base de données. Par ailleurs, les critères de refus pris en considération ne sont également pas clairement définis. Par conséquent, le juge a réprimandé le gouvernement. Le contrôle et le refus s’avéraient être une violation du droit au respect de notre vie privée.

Tout comme tribunal de première instance de Bruxelles et la Commission de la protection de la vie privée, la Ligue estime que ces contrôles sont contraires à nos droits de l’homme. En plus de la conservation massive de nos données de communication et d’identité, les festivaliers sont également contrôlés. Et ensuite? Nous nous demandons quand, pourquoi et à l’aide de quelles bases de données le gouvernement nous contrôle encore plus? Le gouvernement devrait agir de manière transparente et partant d’une loi claire qui respecte nos droits de l’homme.

Cette propension croissante de nos autorités à contrôler les faits et gestes de ses citoyens sans justification concrète n’affecte pas seulement les festivaliers. Les citoyens sont également privés de leur vie privée dans d’autres circonstances. Prenez par exemple les demandeurs d’asile pendant l’évaluation de leur demande. Bien qu’ils ne soient pas soupçonnés d’avoir commis une infraction, les autorités veulent néanmoins examiner toutes leurs informations personnelles, y compris les profiles Facebook.

Nous voulons mettre un terme à cette évoluation néfaste.

Les ministres européens étendent les capacités des États à espionner leurs propres citoyens et, ce faisant, encouragent la tendance de "l'insécurité par design". Le gouvernement Belge a suivi cette tendance et adopté une législation qui autorise l'État à développer et utiliser un malware pour espionner ses citoyens. Ce malware, créé et utilisé par des agences du gouvernement, est installé sur les appareils du suspect, téléphone, tablette ou ordinateur, afin d'accéder à la totalité des messages, photos, vidéos ou autre donnée personnelle. En mars 2017, la Belgique a adopté un texte modifiant la loi sur "les services de renseignement et de sécurité" qui autorise les autorités à accéder aux appareils électroniques, tels que les ordinateurs des citoyens. En clair, elle a légalisé la forme la plus intrusive d'espionnage par le gouvernement.

La Belgique n'est pas le premier pays : nombre de ses voisins ont déjà introduit des mesures similaires sans les garde-fous nécessaires pour assurer le respect de la vie privée. Pire, adopter des mesures qui portent atteinte à la sécurité des données et de la vie privée des citoyens peut mal tourner. Utiliser des failles pour essayer de réduire la cyber-criminalité peut, en fait, avoir l'effet opposé, comme nous l'avons vu récemment avec l'attaque du ransomware WannaCry. Cette cyberattaque mondiale a eu lieu en mai 2017 et a visé des ordinateurs sous Windows en chiffrant leurs données et demandant une rançon. Cette affaire montre comment les gouvernements, qui créent et utilisent activement les failles, rendent nos données personnelles plus vulnérables à toutes les attaques.

Tous vos déplacements sont suspects

Que vous vous déplacez en voiture, à pied, en transports en commun ou à vélo, vous pouvez être certain d’une chose: vous êtes filmé. Vous ne pouvez plus y échapper avec 47 000 endroits où se trouvent des caméras.

La plupart de ces caméras deviennent également de plus en plus "intelligentes". Elles peuvent reconnaître des visages et détecter des modèles. Elles sont liées à un nombre croissant de bases de données et recueillent de plus en plus de données. Les caméras LAPI ne photographient plus seulement la plaque d’immatriculation, mais le véhicule complet, passagers inclus. Bientôt il sera possible d’identifier tous les passagers à l’aide d’un module de reconnaissance faciale.

Ces caméras LAPI se trouvent entre-temps aux frontières, aux aéroports, le long des autoroutes ou à l’entrée des villes. D’ici peu ces images seront également conservées pendant un an. Elles sont présentées comme le remède miracle contre les terroristes, les fous du volant et les personnes qui se garent mal.

Cependant, sous couvert de cette lutte contre le terrorisme, le crime organisé et la circulation, une toile d’araignée de haute technologie est en train d’être tissée, offrant des possibilités sans précédent de suivre chaque citoyen individuellement. Il ne s’agit notamment pas seulement de notre sécurité: beaucoup d’autres données sont recueillies. Au travers de surveillance en temps réel et de profilage, un contrôle total de nos déplacements est imminent.

Il ne s’agit pas uniquement de caméras, mais aussi de stationnement à l’aide de la plaque d’immatriculation ou de données de passagers. Ces dernières sont déjà conservées pour le transport aérien et il est prévu de faire de même pour le transport en train et en bus. Le stockage massif des données en vue de recherches et poursuites ultérieures est pourtant illicite. Ainsi, la Cour de justice de l’Union européenne avait déjà jugé la rétention de données en début d’année, au travers d’une décision révolutionnaire.

Ceci constitue notamment un renversement d’un principe fondamental de l’état de droit démocratique: le gouvernement est uniquement autorisé à violer la vie privée d’un citoyen s’il est raisonnablement soupçonné d’une infraction pénale concrète. Aujourd’hui ce principe est inversé, faisant de chaque personne qui se déplace un suspect potentiel.

Tout se passe comme si cela est la chose la plus naturelle au monde, sans débat public significatif et avec une législation qui est traditionnellement à la traîne. Il est grand temps de mettre un terme à ce genre de pratiques.